De la commune au département, ces tabous qui s’effritent
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- 14 sept. 2017
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Le contournement de la question communale par les lois successives
« Touche pas à ma commune ! » interpellent les irrésistibles défenseurs de l’émiettement communal. Cet émiettement est une réalité et une caractéristique de notre organisation territoriale depuis des décennies, voire des siècles si on considère la commune comme la continuité des clochers. Malgré les lois successives, l’avenir de la commune conserve son immobilisme au sein de périmètres territoriaux qui s’élargissent.
En 1971 pourtant, une loi proposa d’alléger le paysage communal au moyen des mécanismes de fusions. Ainsi, la loi « Marcellin » du 16 juillet 1971 relative aux fusions et regroupements de communes devait concourir à la réduction des 38.800 communes existantes. Maigre succès, puisqu’au final, la loi ne permettra de réduire le nombre de communes que de 5%.
Face au poids de certains conservatismes politiques, ces dispositions législatives se sont avérées « peu efficaces », alors que dans le même temps, d’autres pays européens avaient engagés avec succès une diminution du nombre de leurs communes. En France, on dénombre entre 1971 et 2009, 943 fusions de communes. Compte tenu des « défusions » intervenues postérieurement, le nombre de communes réellement supprimées par fusion ne s’établit qu’à 1 100 pour toute la période.
Depuis la mise en échec de ce texte, subsiste dans l’imaginaire politique l’idée selon laquelle la réduction du nombre de communes est impossible, voire inenvisageable. En d’autres termes, un récit infondé s’invente et s’enracine. Ceci est si vrai que les premières lois de décentralisation (1982 et 1983) n’ont guère accordé d’importance à l’avenir de l’échelon communal. Elles auraient même contribué à sa « sacralisation ».
La marche inexorable du contournement
La montée en puissance de l’intercommunalité sera conçue comme un contournement de la question communale. A défaut de fusions, des regroupements permettront d’agir à des échelles plus pertinentes sans sacrifier « l’échelon de base de la démocratie ». Il faudra attendre la loi Joxe de 1992, soit une décennie après les lois de décentralisation pour que le législateur se penche sur le fait communal et intercommunal.
Notons déjà qu’en 1976, le rapport « Vivre ensemble », issue de la Commission présidée par Olivier Guichard évoquait le regroupement des communes dans les agglomérations de moins de 30.000 habitants en communautés de villes avec un bloc de compétences obligatoires et en communautés urbaines au-delà de 200.000 habitants. Les propositions du rapport Guichard seront mal accueillies par les élus locaux qui voient d’un mauvais œil le caractère obligatoire de la coopération intercommunale. Pour couper court aux polémiques, une consultation des maires est organisée. La coopération intercommunale est oubliée pour quelques années.
En posant les fondations de l’intercommunalité, la loi 16 juillet 1992 va s’illustrer au travers d’un phénomène inattendu. En effet, la loi « Joxe » prévoyait la création de deux nouvelles catégories de groupements de communes : la Communauté de communes (ayant pour objet de « regrouper plusieurs communes »), et la Communauté de villes (ayant pour objet de « regrouper plusieurs communes d'une agglomération de plus de 20.000 habitants »). Ce dispositif suscita l’intérêt des communes rurales mais se traduisit par un échec au niveau urbain en raison de la complexité de la création des Communautés de villes et aussi des enjeux politiques et économiques y afférents. Qui plus est, le volontariat — et donc l’absence d’incitation notamment financière — ne motiva pas particulièrement la décision de se regrouper. Au final, la loi mit en exergue la modernité de la République des clochers qui s’empara progressivement de l’intercommunalité au détriment de la République du monde urbain qui avançait à reculons en la matière.
Il faudra attendre la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale pour que le monde urbain s’engage dans une organisation territoriale intercommunale. La loi dite « Chevènement » va participer, en effet, à un nouvel élan. En pratique, le dispositif prévoit le remplacement des Communautés de villes par les Communautés d’agglomération et la mise en place d’une incitation financière attrayante (majoration de la dotation globale de fonctionnement).
Depuis lors, d’autres avancées intercommunales sont à souligner. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales conduite par Jean-Pierre Raffarin vient apporter de nouvelles précisions sur le fonctionnement et l’exercice des compétences intercommunales.
La loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales proposa la création de la métropole — sorte de « super » communauté urbaine — et le dispositif de la « commune nouvelle » afin de faciliter la fusion entre communes.
Le « retour » des communes nouvelles (version 2010) relève de l’incapacité à reconsidérer le rôle des communes. Il s’agit de réactiver la loi Marcellin mais en organisant cette fois-ci les conditions de son succès. Aujourd’hui, les communes nouvelles, sorte de Canada dry de la loi de 1971, ont des chances certaines de se mettre en place car les communes n’ont d’autres choix face à la diminution de leurs ressources, d’une part et à l’élargissement des périmètres intercommunaux, d’autre part.
Enfin, le dernier mouvement de réforme territoriale conduit par Marylise Lebranchu ajouta de nouvelles pierres à l’édifice intercommunal. La loi MAPTAM du 27 janvier 2014 réorganise et renforce le régime juridique de la métropole (collectivités territoriales à statut particulier pour Paris, Lyon et Aix-Marseille et métropoles de droit commun pour les anciennes communautés urbaines). La loi NOTRe du 7 août 2015 fixe un nouveau seuil minimal de 15.000 habitants pour les intercommunalités avec un certain nombre de dérogations notamment dans le cas des zones isolées.
L’efficience sans correspondance démocratique : le paradoxe intercommunal
Au final, le statut de la commune demeure inchangé tandis que l’on ne cesse d’avancer sur le caractère opératoire des compétences réellement exercées par les intercommunalités. Le pouvoir d’investir et d’impulser le développement local est avant tout intercommunal. Le pouvoir de lever l’impôt l’est aussi. Mais les apparences sont sauvées, la commune reste le lieu du débat politique. Les élections municipales cachent une arrière-scène intercommunale qui prend garde à préserver un entre soi consensuel et a-démocratique. Démocratiser l’intercommunalité n’est pas à l’ordre du jour.
Si l’intercommunalité se révèle efficiente, elle n’est pas pour autant légitimée par l’expression citoyenne au travers d’élections au suffrage universel direct. Ce paradoxe s’éprouve lors des rendez-vous démocratiques. La plupart des élections municipales demeurent une scène politique où l’on tient à contenir le débat alors que les enjeux se situent à l’échelle intercommunale. Dans ce contexte, les débats politiques se fondent sur des coquilles vides alors qu’en parallèle se développe un entre soi intercommunal, une société de connivence au nom justement de l’efficience !
Ces lignes — et ces périmètres — qui bougent
Les dernières dispositions législatives ont initié un mouvement qui bouscule les périmètres et les compétences des EPCI et donc des communes. Plusieurs interrogations pointent, notamment celle du périmètre intercommunal qu’il serait souhaitable de privilégier dans l’organisation territoriale à venir. Plusieurs exemples illustrent les enjeux de gouvernance qui se dessinent. Par exemple, le cas du Pays-Basque où se discute l’éventualité d’une seule et unique intercommunalité — comme une façon de réveiller l’histoire ! Autre exemple, dans la Manche où le projet est de regrouper 27 intercommunalités existantes en 5 EPCI. Quelle gouvernance politique dans ces ensembles élargis sans maturité démocratique ?
La question des périmètres intercommunaux interroge de facto les conditions de représentation des communes au sein de ces grands ensembles. Ces nouveaux géants étoufferont-ils les voix communales ?
Afin d’éviter de se retrouver dans cette situation, les communes s’emparent actuellement du dispositif de la « commune nouvelle » auquel la loi du 16 mars 2015 a apporté un nouveau souffle. Ce texte issu des propositions de Jacques Pélissard et Christine Pirès-Beaune propose d’améliorer la visibilité de l’échelon communal dans une architecture institutionnelle aux périmètres élargis. Actuellement, 80 projets sont en cours. Les communes nouvelles qui seront créées au plus tard le 1er janvier 2016 (prolongé de 6 mois jusqu’en juin 2016) bénéficieront pendant trois ans d’une exonération de la baisse de la DGF et du maintien des dotations de solidarités perçues par les anciennes communes.
Le tabou du « Touche pas à ma commune » n’est-il pas en train de muter sous l’impulsion du dispositif « Commune nouvelle » ? La nécessité financière pour les communes, de consolider les budgets et de conserver une voix audible dans le concert intercommunal ne sont-ils pas en train de modifier les règles du jeu local ?
Vers une France à 60 départements ?
Ces mouvements de fusions, de regroupements et de changements d’échelle ne sont pas sans impact sur le département. Et l’effet domino peut se concevoir à deux niveaux :
- Tout d’abord, dans la nouvelle carte régionale du 1er janvier 2016, les départements actuels seront-ils à la bonne échelle ?
- Ensuite, le développement intercommunal tel que décrit précédemment, ne contraint-il pas les départements à revoir leurs périmètres ?
La loi MAPTAM vient à ce sujet fixer un cap de maturation à la question départementale à travers la Conférence territoriale de l’action publique (CTAP). Cet outil dynamisant, exploité à l’heure de l’entrée en vigueur des grandes régions, mettra aussi en exergue le seuil territorial critique des départements. Cette conférence est, au sens de la loi, « chargée de favoriser un exercice concerté des compétences des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics ». Il s’agit de réunir l’ensemble des acteurs territoriaux en vu de répondre aux besoins de chaque territoire.
En pratique, et au niveau départemental, se posera la question du poids décisionnel de cet échelon qui sera équivalent, voire inférieur, à certaines intercommunalités. En d’autres termes, ce qui se passe aujourd’hui pour les communes qui fusionnent, peut se passer demain pour les départements dans la mesure où les territoires régionaux pourraient les « noyer » s’ils ne fusionnaient pas avec d’autres. Est-il si inimaginable qu’à titre d’exemple, le Val d’Oise et l’Oise fusionnent ? Par regroupement en binôme, une France à 60 départements pourrait ainsi s’esquisser.
Le principe de réalité provoquera peut-être ce mouvement de plaques tectoniques. N’oublions pas à ce sujet que la loi NOTRe du 7 aout 2015, confère aux régions l’élaboration du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) auquel doit obligatoirement être associée la métropole. Or, en cas de désaccord, la métropole dispose de la possibilité d’établir son propre schéma d’où l‘importance pour les départements de disposer d’une voix et donc d’un poids significatif dans le processus décisionnel. Pour éviter la possible « extraterritorialité » économique métropolitaine, ne faut-il pas que d’autres échelons émergent pour créer un meilleur équilibre entre des forces contradictoires ?
Ces mouvements sont une réaction à la loi. Ont-ils été pensés par la loi ! Ce qui est certain, c’est que ces textes conduisent vers de nouveaux enjeux de gouvernance qui devraient (enfin !) nous permettre de dépasser les tabous d’antan en perspective de la recherche d’un équilibre décisionnel.
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